La motivation et la confiance des donateurs sont des préalables au don et au développement de la philanthropie. Cela passe par le respect de la volonté des donateurs. En ce sens, le don doit être raisonné, mûrement réfléchi et reposer sur une argumentation factuelle. Pourtant, pour déclencher le don, le cœur et l’émotion sont des leviers souvent autrement puissants que l’esprit et la raison et, en toute éventualité, sont indispensables. L’action des associations qui œuvrent dans le champ de la santé et de la solidarité dépend en grande partie de la générosité du public. Le caractère incontestable et prioritaire des causes humanitaires pour lesquelles s’engagent ces associations, par exemple la lutte contre le cancer, justifie-t-il de privilégier l’efficacité des messages délivrés à leur sincérité, voire à leur véracité ? En d’autre terme, l’évidence de ces causes autorise-t-elle à utiliser des moyens dont certains pourraient s’apparenter à une tromperie du public ? La délivrance de messages dont le haut contenu émotionnel, garant possible de l’efficacité, l’emporte sur la réalité présente des perspectives et des espoirs, doit-elle être tolérée en vertu du principe selon lequel « la fin justifierait parfois les moyens » ? Est-il licite sur un plan éthique de culpabiliser afin de mobiliser ceux que l’on souhaite légitimement pousser à la générosité et au don ? Peut-on spécifier les principes auxquels devraient souscrire toutes les campagnes de collecte de dons, dans le souci conjoint de leur succès et du respect intransigeant des personnes ?
Les associations et les fondations sont aujourd’hui des acteurs reconnus du système de santé et de recherche en France. L’intérêt de leurs actions ne fait collectivement aucun doute et leur légitimité est communément admise. Ces structures participent notamment au financement de la recherche, assurent des missions d’information et de sensibilisation aux problématiques de santé, développent des services de proximité auprès des personnes malades et de leurs proches, et défendent les intérêts de ces mêmes personnes. Elles sont bien souvent à l’origine d’innovations en matière de prise en charge médico-sociale. De fait, elles constituent un maillon indispensable du système de santé et de recherche, aux côtés et avec les autres acteurs de celui-ci. Elles contribuent ainsi de façon conséquente (même si de façon moindre que dans les pays anglo-saxons où la générosité se substitue beaucoup plus à la solidarité) à l’ensemble des rouages de fonctionnement et de gouvernance de la santé et de la recherche dans notre pays.
Pour assurer les missions qu’elles se donnent ou qui leur sont confiées, les associations et les fondations ont besoin de financements. Ces financements proviennent soit de sources publiques (subventions, conventions, prix de journée, vente de prestations à des partenaires publiques) émanant de l’Etat et des collectivités régionales, départementales ou communales, soit de sources privées (cotisations des membres, recettes d’activité privées, mécénat, dons de particulier). Les ressources financières des associations sont très variables d’une structure à une autre, mais aussi en fonction de leur secteur d’activité. Selon les données les plus récentes disponibles, le financement public représente en moyenne 67% du budget de fonctionnement des associations œuvrant dans l’action sociale et la santé (1). A l’inverse, 60% du budget des associations intervenant dans l’action humanitaire émanent en moyenne d’un financement privé.
Le constat des difficultés financières croissantes auxquelles se heurte le monde associatif est unanime (1,2). Ces difficultés, note un rapport à l’Assemblée nationale, « s’expliquent en grande partie par la raréfaction des ressources publiques et la difficulté des ressources privées à prendre le relais » (2). De fait, constate l’économiste Viviane Tchernonog, « les perspectives en matière de financement des associations paraissent assez sombres. Dans le contexte actuel de crise économique et de déficit public, les financements publics sont appelés à se contracter encore davantage, tandis que les marges de manœuvre possibles en matière de financement privé sont limitées » (1).
Selon diverses enquêtes, un peu plus de la moitié des Français déclarent faire des dons réguliers, toutes causes confondues (3-5). Après avoir connu une augmentation au début des années 2000 (les mesures fiscales prises en 2003 et 2005 ayant probablement joué un rôle favorisant), le nombre des donateurs est stable au cours des dix dernières années. Sur la même période, le montant des dons déclarés aux services fiscaux a augmenté, passant d’un peu plus d’un milliard d’euros en 2001 à près de 2,4 milliards en 2014 (3). Le don moyen, c’est-à-dire le montant moyen des dons déclarés auprès des services fiscaux, s’élevait à 436 euros en 2014, toutes associations confondues (3). En prenant en compte les dons déclarés, les dons non déclarés fiscalement et les dons de la main à la main, le montant total des dons des Français en 2014 est estimé entre 4,2 et 4,4 milliards d’euros (3). Un montant qui représente environ 6% du budget cumulé du secteur associatif qui est de l’ordre de 70 milliards d’euros (1).
Les causes prioritaires déclarées par les Français sont l’aide et la protection de l’enfance (38%), la lutte contre l’exclusion et la pauvreté (31%) et la recherche médicale (30%) (6,7). Ces priorités sont stables au cours du temps. Dans leur très grande majorité (93%), les donateurs sont des donateurs fidèles. Le syndicat professionnel France Générosités constate qu’il « est de plus en plus difficile de convaincre de nouveaux donateurs ».
Une évolution des pratiques d’appels aux dons
Dans un contexte de difficulté financière, le recours à la générosité publique apparaît crucial pour bon nombre d’associations et fondations intervenant dans le champ de la santé afin qu’elles puissent poursuivre et développer leurs actions dans ce domaine. La question se pose dès lors de savoir quelles sont les règles éthiques qui doivent prévaloir en matière d’appel à la générosité du public. Cette question est d’autant plus cruciale que l’on assiste, d’une part, à une concurrence de plus en plus vive entre les associations faisant appel à cette générosité, d’autre part, à une évolution des pratiques de collecte des dons.
Au cours de la dernière décennie, la technique de la collecte dans la rue, le « street marketing », s’est considérablement développée. A certains emplacements dans des grandes villes, on assiste ainsi à une véritable saturation. Cela a conduit des organisations professionnelles à mettre en place une régulation de cette activité de rue. Afin d’en renforcer l’efficacité, il semble que des organisations envisagent de rémunérer les « street marketeurs » au résultat et non au temps passé comme c’est actuellement le cas. Il serait alors à craindre un risque de dérive, que cela conduise par exemple à des « ventes » forcées.
Une autre inquiétude concerne l’usage des techniques numériques et digitales de collecte de dons. Grâce à ces techniques, il est possible de caractériser le profil des internautes en fonction notamment des sites qu’ils consultent, des pages lues sur ces sites et du temps de consultation. Des sociétés, en particulier celles détenant les principaux moteurs de recherche, monnayent des fichiers de personnes sélectionnées en fonction de leur profil ; par exemple celles qui ont consulté des sites d’information sur le cancer. Il est alors aisé d’adresser à ces personnes des messages ciblés d’appel aux dons. Ces techniques numériques et digitales peuvent, en fonction de l’usage qui en est fait, être particulièrement intrusives.
Conscients de ces risques, les professionnels de la collecte de don ont mis en place des structures de régulation et/ou de contrôle des pratiques, notamment dans le cadre du Comité de la Charte du don en confiance (a). Créé en 1989, ce comité a notamment défini au sein d’une charte des règles de déontologie que s’engagent à respecter ses membres (b). Ces règles portent sur le fonctionnement statutaire des organisations, la rigueur de la gestion, la qualité de la communication et des actions de collecte, la transparence financière. Elles apparaissent parfaitement appropriées au titre de bonnes pratiques adoptées par une profession.
Le Comité éthique & cancer considère néanmoins qu’il convient d’étayer les règles déontologiques propres à une pratique professionnelle par des principes éthiques. De tels principes apparaissent en effet seuls à même de garantir la cohérence entre, d’une part, les moyens mis en œuvre par les associations et les fondations pour collecter des dons et, d’autre part, le respect plein et entier des personnes auxquelles ces organisations s’adressent pour parvenir à leurs objectifs.
Les ressorts du don
En principe, l’essence du don est d’être gratuit et sans contrepartie, conduisant à la notion d’un don « pur ». Depuis les travaux anthropologiques de Marcel Mauss, il est communément considéré que le don s’inscrit en réalité dans des logiques d’échanges et de réciprocité (8). Ces logiques, qui n’excluent pas la possibilité d’une forme de « pureté » du don, sont complexes car sous-tendues par les rapports sociaux entre les individus et par l’identité propre de ceux-ci. Ainsi, le don s’inscrit dans le lien social, dont Marcel Mauss considère qu’il en est même l’un des fondements. Cette assertion est notamment reprise par Maurice Godelier (9). Ce dernier considère toutefois que dans les sociétés occidentales « le don n’est plus un moyen nécessaire pour produire et reproduire les structures de base de la société. (…) Le don est devenu objectivement une affaire avant tout subjective, personnelle, individuelle », résultant d’une démarche volontaire. Le don n’en continue pas moins de s’inscrire dans le lien social et donc de comporter des ambivalences quant à ses ressorts (c). Ainsi, David Hume considère que « toutes nos obligations d’agir pour le bien de la société semblent impliquer quelque chose de réciproque » (10). Selon sa théorie de la réciprocité, nous contractons des obligations pour aider ou avantager les autres en partie parce que nous avons reçu ou allons recevoir ou espérons recevoir une assistance bénéfique de leur part.
Quels que soient les ressorts du don, ce dernier n’en demeure pas moins une ressource essentielle des associations et des fondations pour financer des activités essentielles du système de santé et de recherche que l’État et les pouvoirs publics n’assument pas ou plus, par choix politiques et/ou économiques. Il est donc légitime que les associations et les fondations sollicitent, sous diverses formes, les dons auprès de la population. Ces appels à dons, bien que nécessaires, biaisent néanmoins le caractère volontaire du don par les moyens employés pour le susciter. Ces moyens, reposant sur les techniques du marketing et de la communication, conduisent même dans certains cas à une forme de ritualisation sociale (d). D’où l’importance de la définition de règles éthiques quant à l’utilisation de ces moyens.
Des invariants éthiques
Le comité considère que les moyens mis en œuvre pour appeler aux dons doivent reposer sur les quatre grands principes communément admis pour tout ce qui se rapporte à l’éthique biomédicale : le respect de l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice. Il s’agit d’invariants a minima auxquels il ne saurait être question de déroger pour toute action, de quelque nature que soit, de sollicitation des dons. Le respect de ces invariants doit être discuté par les acteurs et décideurs de l’appel aux dons et donner lieu à des décisions collectives. Dans l’idéal, lorsqu’un comité d’éthique peut être sollicité, ce dernier devrait l’être systématiquement avant toute mise en œuvre de l’appel aux dons.
- Le respect de l’autonomie
Le respect de l’autonomie suppose que les personnes qui reçoivent un message d’appel aux dons soient en mesure de décider par elles-mêmes de répondre favorablement ou non à la sollicitation qui leur est adressée. C’est notamment ce qui fonde le consentement éclairé des personnes. Cela exige une sincérité absolue des informations contenues dans le message, puisqu’il ne saurait y avoir autonomie si la décision repose sur des informations erronées, tronquées ou détournées. Cette sincérité se rapporte :
- aux informations à caractère médical ou scientifique. Celles-ci doivent être à la fois exactes, précises et accessibles au plus grand nombre dans leur énoncé. Pour cela, au cours du processus d’élaboration des messages, il est indispensable que ces informations soient vérifiées et validées par différents experts médicaux ou scientifiques ;
- aux informations relatives à l’organisation appelant aux dons qui doit clairement afficher son objet social, ses objectifs, ses valeurs et les motifs de l’appel aux dons ;
- aux informations relatives à l’usage des fonds qui seront collectés.
Le respect de l’autonomie suppose également que les informations présentées dans un message d’appel aux dons soient parfaitement compréhensibles et comprises. Il est par conséquent indispensable que tout message délivré dans le cadre d’un appel aux dons soit préalablement évalué auprès d’échantillons de personnes représentatives du ou des publics ciblés afin de s’assurer de l’absence de doute quant au sens des informations délivrées.
Le respect du principe d’autonomie suppose aussi de ne pas interférer avec le processus de décision de la personne de faire ou ne pas faire un don, de quelque manière que ce soit.
Ainsi, les objets promotionnels de toute nature qui parfois accompagnent les messages d’appel aux dons sont totalement à proscrire. Ils introduisent en effet un biais dans la sollicitation, aux effets qui peuvent être tout autant positifs que négatifs selon les personnes, car s’inscrivant dans une démarche publicitaire dont les ressorts n’ont rien à voir avec ceux qui doivent fonder l’appel à la générosité du public.
Par ailleurs, les messages ne doivent pas entraîner une forme de culpabilisation lorsque, pour une raison ou une autre, une personne décide de ne pas faire de don en réponse à la sollicitation qui lui a été adressée. Le ressort de la culpabilité est contraire au caractère volontaire et autonome du don.
- La bienfaisance
Le principe de bienfaisance se réfère à toute action accomplie pour le bien d’autrui et à l’obligation morale qui la sous-tend. De fait, ce principe s’inscrit dans l’acte même du don de la part de celui qui donne puisque, quelles que soient ses motivations, il fait preuve de générosité envers autrui. Par réciprocité, la bienfaisance doit également guider l’appel aux dons.
En premier lieu, cela nécessite de la part des structures sollicitant les dons un engagement clair et précis sur les actions qu’elles entendent financer et réaliser grâce aux fonds recueillis. Cet engagement suppose comme prérequis qu’elles disposent des ressources humaines, organisationnelles, matérielles et techniques pour mener à bien ces actions.
La bienfaisance suppose de plus que l’appel aux dons dépasse le « simple » recueil de fonds pour s’inscrire dans une véritable pédagogie sur la cause qu’il vise à soutenir. Par souci de réciprocité à la générosité qu’elle appelle, la sollicitation doit être le support de messages d’information et d’éducation envers les personnes ciblées. Ces messages doivent viser à faire évoluer les compréhensions et les mentalités sur les problématiques se rapportant à la cause défendue. Par exemple, dans le domaine de la lutte contre le cancer, il est essentiel que les campagnes de collecte de dons par les associations permettent de mieux faire comprendre la réalité de la maladie vécue par les personnes malades, les modalités globales de prévention, de dépistage et de prise en charge, ou encore les problématiques autour de l’après-cancer (retour à l’emploi, réinsertion sociale, suivi psychologique…).
Dans le même ordre d’idée, les appels aux dons doivent contribuer à lutter contre toute forme de discrimination et de marginalisation, par exemple des personnes malades du fait de leur maladie. Il importe qu’ils participent à la reconnaissance des besoins d’aide et de soutien de celles et ceux qui sont dans la difficulté, ainsi qu’à réduire les inégalités. Cette préoccupation « bienveillante » au travers les appels aux dons doit ainsi viser à ancrer la solidarité dans les mentalités et les pratiques, au titre de son caractère de socle social. Cela suppose enfin que les campagnes d’appels aux dons ne se limitent pas dans leurs propos et objets aux causes les plus « faciles » (par exemple celles qui concernent les enfants), mais qu’elles mettent aussi l’accent sur les situations négligées, rares ou ne suscitant pas une adhésion immédiate.
- La non-malfaisance
Le principe de non-malfaisance consiste à ne pas nuire à autrui. En matière d’appel aux dons, c’est de toute évidence un principe absolu, un devoir moral dont doivent faire preuve les structures sollicitant la générosité du public. En vertu de ce principe, la première obligation est l’absence de tromperie dans le contenu des messages d’appel aux dons. Ce contenu ne doit tromper ni sur l’objet de l’appel aux dons, ni sur la destination des fonds collectés, pas plus que sur le sens et l’exactitude des informations présentées. Cela exige de ce fait :
- une transparence totale sur les sommes collectées et sur l’utilisation de celle-ci une fois les actions réalisées ;
- l’absence de fausses promesses ;
- l’absence de suggestion de toute forme de faux espoirs, notamment dans le domaine de la santé. Par exemple, dans le champ de la lutte contre le cancer, il est à l’heure actuelle préférable d’éviter d’évoquer seulement l’idée de guérison mais de mettre aussi et peut-être surtout l’accent sur la vie avec la maladie.
Dans le même ordre d’idée, les messages doivent éviter de susciter de trop vives émotions chez les personnes concernées par la cause objet de l’appel aux dons ou de porter atteinte d’une manière ou d’une autre à leur dignité. D’une manière générale, ces sollicitations doivent faire appel à la sensibilisation du ou des publics ciblés de façon modérée. Comme il a déjà été dit, le ressort de la culpabilité, notamment envers celles et ceux qui ne répondent pas à la sollicitation, est également à proscrire totalement.
Le principe de non-malfaisance doit par ailleurs être appliqué au regard des techniques de collectes de dons. Toute démarche intrusive (se rendre dans la chambre d’hôpital des malades pour solliciter leurs proches par exemple) ou conduisant à une forme de harcèlement (la répétition d’appels téléphoniques par exemple) est contraire au respect d’autrui.
- La justice
Selon Beauchamp et Childress, différentes théories définissent la justice comme étant ce qui est juste et équitable dans le traitement d’une personne, à la lumière de ce qu’elle mérite et de ce qui lui est dû (11). En justice, le détenteur d’une revendication valide a un droit, de sorte que quelque chose lui revient. Une injustice implique donc un acte ou une omission qui prive une personne d’un bénéfice auquel elle a droit ou qui lui porte un tort injustifié.
En matière d’appel aux dons, la personne qui donne n’attend, de prime abord, rien pour elle, mais espère pour les autres un bénéfice de son action : soutien aux chercheurs, aide aux malades, par exemple. Il est donc normal, selon le principe de justice, que le bénéfice attendu de la sollicitation entre bien dans un souci d’universalité de la sphère publique, et de promouvoir uniquement ce qui est de l’intérêt commun.
Dès lors, les campagnes d’appel aux dons ne doivent en aucune manière être discriminantes vis-à-vis de certaines catégories de personnes par rapport à d’autres, par exemple les malades atteints d’un type de pathologie par rapport à d’autres malades atteints d’autres types. De même, les fonds recueillis à l’occasion d’un appel aux dons doivent bénéficier à l’ensemble des personnes concernées par la cause dont l’appel est l’objet, sans aucune forme de discrimination. Le principe de justice suppose un égal accès de tous aux actions financées par la sollicitation de la générosité publique.
Cependant, la justice pose la question de la concurrence entre les causes et par là de la concurrence entre les structures organisant des appels aux dons. Dans l’idéal, toutes les causes devraient pouvoir avoir accès de manière égale à la générosité publique et au fruit de celle-ci. Par exemple, les personnes atteintes de cancers rares n’ont pas moins de besoins en matière de recherche, d’accès aux soins et de soutien que celles, par définition plus nombreuses, qui souffrent de cancers plus fréquents. Dans les faits, l’inégalité entre les causes est flagrante. Cette inégalité n’est pas que le fait de la diversité des structures faisant appel aux dons et des moyens dont elles disposent pour cela. L’opinion publique est par nature plus sensible à certaines causes que d’autres, cette sensibilité étant par ailleurs fluctuante. Par ailleurs, plus une situation est fréquente (une maladie par exemple), plus le nombre de personnes susceptibles d’être concernées par cette situation et donc d’être sensibles à un appel à dons est élevé.
Il est certainement difficile d’envisager une forme de régulation de la collecte des dons qui puisse conduire à une répartition équitable de ceux-ci entre les structures, par exemple en fonction des besoins auxquels elles répondent. Cela d’autant plus dans un contexte économique difficile en général, et pour le secteur associatif en particulier, contexte qui exacerbe la concurrence entre ces organisations. Toutefois, afin d’envisager l’application du principe de justice, il est possible de considérer que les fichiers des donateurs ne devraient pas être de fait la propriété des structures qui les constituent. Ces fichiers possèdent une valeur indéniable, y compris une valeur financière. Ils donnent même lieu, de la part de certaines associations, à des échanges commerciaux. La constitution de ces fichiers résulte cependant des actes de générosité des donateurs. Le seul fait de donner pour une cause doit-il conduire à une forme de marchandisation qui, de surcroît, n’est ni souhaitée ni consentie par les donateurs ? Il semblerait plus juste que les fichiers de donateurs soient considérés comme des « biens publics », mis en communs et auxquels l’ensemble des associations et fondations pourraient avoir accès selon des modalités qui devraient nécessairement être consensuelles. Par ce partage, les associations et les causes qu’elles représentent seraient davantage en situation d’équité qu’elles ne le sont actuellement dans leurs démarches d’appels aux dons.
En conclusion, le respect a minima des quatre principes fondamentaux de l’éthique biomédicale appliqué à l’appel aux dons, tel que le propose le Comité, apparaît pouvoir permettre de concilier sur le plan éthique la nécessaire et légitime recherche de fonds par les associations et fondations, et le tout aussi nécessaire et légitime respect des personnes qui font acte de générosité.
Notes
(a) www.comitecharte.org
(b) Le comité de la Charte du don en confiance comptait, en mars 2016, 81 associations ou fondations adhérentes.
(c) Un exemple manifeste de ces ambivalences est l’abattement fiscal dont peuvent bénéficier les particuliers au titre de leurs dons aux fondations ou associations reconnues d’utilité publique (article 200 du Code général des impôts). A l’heure actuelle, la réduction d’impôt sur le revenu possible est égale à 66% du montant des dons dans la limite de 20% du revenu imposable. Il est légitime que les particuliers qui le souhaitent demander à bénéficier de cet abattement fiscal puisqu’il s’agit d’un droit légal. Force est toutefois de constater que ce droit « incitatif » introduit un biais vis-à-vis du caractère volontaire du don. Par ailleurs, il peut être considéré comme une forme de détournement de la solidarité nationale qui s’exerce au travers de l’impôt.
(d) Maurice Godelier, dans son essai L’Énigme du don, écrit ainsi : « La charité s’est laïcisée, et à partir du moment où elle s’est servi des médias, s’est transformée en partie en un jeu télévisé, phénomène qui imprime à la collecte des dons quelques-uns des caractères du potlatch. Du potlatch en effet, on retrouve l’appel à donner toujours plus, une ville plus qu’une autre, une entreprise plus qu’une autre, le désir que le total des dons dépasse chaque année celui atteint l’année précédente. Comme dans le potlatch, on proclame également les noms des personnes, des villes, des entreprises qui se sont montrées les plus généreuses. »
Bibliographie
(1) Viviane Tchernonog, « Le secteur associatif et son financement », Informations sociales 2012/4 (n° 172), p. 11-18.
(2) Rapport n°2383 à l’assemblée nationale, au nom de la commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social, président M. A. Bocquet, Rapporteure Mme F. Dumas, 20 novembre 2014.
(3) Bazin C, Duros M, Malet J. La générosité des Français. Recherches & Solidarités, Institut des Dirigeants d’Associations et Fondations, 20e édition, novembre 2015.
(4) Prouteau L, Wolff FC. Adhésions et dons aux associations : permanence et évolutions de 2002 à 2010. Economie et statistiques, 2013;459:27-57.
(5) France Générosités, Médiaprism. Donateur : qui es-tu ? octobre 2013.
(6) France Générosités. Baromètre de la générosité 2014.
(7) France Générosité. Baromètre Image notoriété des associations et fondations faisant appel à la générosité du public, 2015.
(8) Marcel Mauss. Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. Article originalement publié dans l’Année Sociologique, seconde série, 1923-1924.
(9) Maurice Godelier. L’Énigme du don. Flammarion, 2008 (1re édition 1996).
(10) David Hume. Of Suicide, dans Essays, Moral, Political, and Literary, Ed. Eugène Miller (Indianapolis, IN Libety Classics), 1985.
(11) Tom Beauchamp, James Childress. Les principes de l’éthique biomédicale. Ed. Les Belles Lettres, coll. Médecine & sciences humaines, 2008.