« L’augmentation du prix des nouveaux médicaments en cancérologie met en danger, à court terme, notre système de santé qui ne pourra plus financer l’accès aux innovations thérapeutiques, s’alarme la Ligue contre le cancer. Comme cela vient de se passer en Grande-Bretagne, le risque est […] grand qu’en France les patients se voient bientôt refuser un traitement parce que son coût est devenu trop élevé pour l’assurance maladie. […] Il y a un risque que seuls quelques patients, pouvant financer eux-mêmes leur traitement, puissent accéder à certains médicaments. » 1
Ces dernières décennies, le champ de la cancérologie est particulièrement concerné par l’augmentation des dépenses de santé en raison des progrès importants obtenus, notamment avec les thérapies ciblées et le recours croissant aux techniques de génomique et de génétique. Cela est-il suffisant pour expliquer les coûts pratiqués sur les molécules innovantes ?
« Ce coût exorbitant est calculé en réalité sur ce qu’un marché national est en mesure de supporter », affirme l’hématologue Jean-Paul Vernant 2. Dans quelle mesure cette logique économique peut-elle s’appliquer aux médicaments innovants qui visent à améliorer la santé des personnes ? Une fois mis sur le marché, ces médicaments innovants sont-ils assimilables à des biens de consommation comme les autres ? Le fait que les médicaments relèvent d’une nécessité et non d’un choix pour les personnes malades ne justifie-t-il pas que les principes de bienfaisance et d’équité soient légitimement invoqués pour contraindre la logique de fixation du prix des médicaments entre les laboratoires pharmaceutiques et le CEPS (Comité économique des produits de santé) ? En outre, le prix des médicaments peut-il être fixé en fonction du service rendu, à savoir le nombre de vies sauvées par ceux-ci 3,4 ?
Une nouvelle approche économique justifiant le prix du médicament tendrait à voir le jour. Celui-ci serait motivé par le gain de productivité retrouvé chez une personne, une fois celle-ci en rémission ou guérie. Si cette approche venait à émerger, que deviendraient les personnes retraitées ou handicapées pour qui un médicament onéreux pourrait être éventuellement refusé au motif qu’il n’y aurait pas de « retour sur investissement » ? Dans quelle mesure cette approche bat en brèche les principes d’équité et de justice ?
Relativement absente du débat public en France jusqu’à ces dernières années, la question du prix des médicaments en cancérologie s’est imposée avec les médicaments dits « innovants » utilisés dans les essais thérapeutiques ciblés ou d’immunothérapie. Mobilisant les différents acteurs du système de santé (professionnels de santé, associations de malades, pouvoirs publics, industriels du médicament) et, plus largement, la société française dans son ensemble, les débats sur le sujet peuvent être vifs et conduire à une présentation polémique des positions des uns et des autres : idéologues dogmatiques, ignorant l’économie, d’un côté ; mercantis âpres au gain, dont les profits sont illégitimes, de l’autre.
Saisi dans des termes qui s’inscrivent dans cette controverse, le Comité éthique et cancer a souhaité contribuer à l’instauration d’un débat raisonnable sur la question du prix des médicaments innovants en cancérologie. En tentant de décrire les faits et positions des acteurs intéressés, puis en affirmant la nécessité d’une conciliation des mécanismes et comportements économiques avec l’exigence d’équité dans l’accès aux médicaments. Et enfin, en émettant des recommandations pour améliorer la transparence du processus de fixation des prix.
I. Débat sur le prix des médicaments : faits et positions
Il est indéniable que le prix des médicaments « innovants » nouvellement mis sur le marché a connu en France une augmentation considérable au cours des dix dernières années. Cette augmentation est intervenue de manière subite au milieu des années 2000 avec la mise sur le marché de l’eculizumab (Soliris®). Cet anticorps monoclonal est indiqué dans deux maladies génétiques rares (l’hémoglobinurie paroxystique nocturne et le syndrome hémolytique et urémique atypique). Il a été commercialisé en 2005 à un prix inhabituellement élevé – 35 000 € de coût mensuel par patient –, ce qui a constitué une rupture par rapport à ce qui était pratiqué en matière de prix des médicaments en France. Par la suite, tous les médicaments dits « innovants » ont été mis sur le marché à des prix situés dans cet ordre de grandeur.
En France, en 2017, il faut payer de 60 000 et 90 000 € pour une année de traitement sous Keytruda® pour des patients d’un poids de 60 à 80 kg, atteints d’un mélanome avancé non résécable (c’est-à-dire non accessible à l’ablation chirurgicale) ou métastatique ; de 50 000 à 70 000 € pour une année de traitement sous Opdivo® pour des patients entre 60 et 80 kg cancer atteints de carcinome bronchique non-à-petites cellules (CBNPC) de type épidermoïde localement avancé ou métastatique ou de mélanome avancé ou métastatique ; dans le traitement du mélanome avancé non résécable ou métastatique, en combinaison avec d’autres traitements comme le Yervoy®, le coût peut s’élever de 100 000 à près de 140 000 €.5
Le débat sur le prix des médicaments a véritablement surgi dans l’espace public à l’occasion de la mise sur le marché, à partir de 2014 en Europe, des antiviraux à action directe (AAD) qui ont révolutionné la prise en charge de l’hépatite C chronique. Ces médicaments, combinés entre eux et avec d’autres classes thérapeutiques, permettent d’obtenir en trois à six mois de traitement une guérison pour plus de 90% des malades, et ce avec peu d’effets indésirables. Jusqu’alors, l’hépatite C chronique nécessitait des traitements plus longs dont l’efficacité était très inférieure et qui comportaient des effets indésirables importants. Le chef de file des AAD, le sofosbuvir (Sovaldi®), a été commercialisé à un prix public de 41 000 € hors taxes pour le traitement de trois mois. Compte tenu de la prévalence de l’hépatite C chronique en France — estimée à 192 700 personnes en 20116 —, et du coût du traitement pour l’assurance maladie, la Haute autorités de santé (HAS) a, dans un premier temps (2014), recommandé de traiter en priorité les malades en fonction de critères médicaux au premier rang desquels l’évolution de la maladie et du stade de fibrose du foie7. Cette position a été entérinée par une lettre d’instruction ministérielle (2015)8. L’HAS a par la suite révisé à deux reprises ses recommandations, en juin et décembre 2016. À cette dernière date, elle s’est prononcée en faveur d’un élargissement de l’accès aux AAD à l’ensemble des personnes atteintes d’hépatite C chronique. Cette recommandation faisait suite à la position de la ministre en charge de la Santé, qui avait annoncé en mai 2016 « l’accès universel aux traitements de l’hépatite C »9. L’HAS assortissait cette position d’une recommandation de « baisse des prix des ADD, associée à l’élargissement du périmètre de remboursement, afin d’assurer le même niveau d’efficience que celui déjà consenti pour traiter les patients les plus avancés dans la maladie ». Dans la foulée, la ministre de la Santé annonçait une baisse significative du prix d’un nouvel AAD10, puis, quelques semaines plus tard, de deux AAD déjà commercialisés. Cette baisse des prix est effective depuis le 1er avril 2017. Elle a été obtenue par des négociations longues et complètes au cours desquelles le gouvernement a évoqué la possibilité que, en cas d’impasse, le prix soit fixé unilatéralement comme la loi le permet en cas d’absence d’accord avec le laboratoire11.
Le cas des AAD pour le traitement de l’hépatite C chronique illustre les mécanismes de fixation du prix des médicaments onéreux et la réalité des tensions entre des acteurs inscrits dans des logiques d’intérêt fortement antagonistes : responsables des comptes et de la santé publics, d’un côté ; industriels du médicament de l’autre, appuyés parfois — pour des raisons compréhensibles — par des associations de malades, comme a pu s’en alarmer l’Académie de médecine12. Les nouveaux médicaments destinés aux traitements des cancers, en particulier les thérapies ciblées et les immunothérapies, n’échappent pas à cette situation.
II. Concilier des intérêts antagonistes
Une position assez largement partagée dans les mondes médical et institutionnel avance le risque, comme l’indique la saisine, « qu’en France les patients se voient bientôt refuser un traitement parce que son coût est devenu trop élevé pour l’assurance maladie […], que seuls quelques patients, pouvant financer eux-mêmes leur traitement, puissent accéder à certains médicaments ». Une évolution « qui menace les fondements de notre système d’Assurance maladie », estime l’Académie de médecine13. Dans un rapport très documenté, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), prenant acte des craintes « que notre pays ne sélectionne les bénéficiaires de ces traitements innovants », estime que des mesures nouvelles deviennent nécessaires pour « sauvegarder la spécificité française d’accès universel aux thérapeutiques même coûteuses à laquelle l’ensemble de nos concitoyen.ne.s et les responsables publics expriment un vif attachement et qui constitue un des piliers de la cohésion sociale en France et de l’égalité de tous.tes face au traitement de la maladie 14 ».
1.Des risques avérés, mais probablement maîtrisables
Un point préalable est de savoir si l’augmentation du prix des médicaments peut-être supportée sur le plan économique ou bien si des mesures de rationnement du remboursement des médicaments onéreux devront être envisagées. Dans ce dernier cas, Il pourrait s’ensuivre, soit une inéquité (les riches pouvant s’offrir les molécules onéreuses sur le marché, sans remboursement, les pauvres non), soit un rationnement et une sélection parmi les malades. Il existe des alertes : le remboursement progressif du Sovaldi® a pu créer une telle situation dans la période où le médicament était réservé aux malades les plus sévèrement atteints alors que tous, comme on le reconnaît aujourd’hui, auraient dû pouvoir en bénéficier. De même, comme en avait traité le Comité éthique et cancer, le non-remboursement des tests génomiques dans le cancer du sein créait de fait une inégalité pour savoir si elles étaient éligibles à un traitement sans chimiothérapie entre les patientes qui pouvaient prendre le risque de débourser 3 000 € et celles qui ne le pouvaient pas15.
Pour autant, il ne paraît pas aujourd’hui raisonnablement possible d’affirmer que, à un horizon datable, des malades du cancer en France ne pourront plus accéder aux molécules innovantes. L’argument concourt à une « heuristique de la peur »16 engageant les pouvoirs publics à mieux s’organiser et il a en cela sa valeur même s’il ne constitue pas, – en France, dans les conditions actuelles –, une prévision réaliste. De fait, les dépenses de médicaments en France ont été stables ces dernières années, malgré une augmentation des volumes. Cette stabilité relative est notamment liée, malgré la hausse des anticancéreux innovants, à une diminution globale des prix (4 % en 2015) engagée notamment depuis 201217.
Il reste que la collectivité18, sans référence à un rationnement hypothétique des anticancéreux innovants, a le devoir de protéger l’intérêt public en recherchant la mise à disposition des médicaments les plus efficaces au coût le plus bas pour préserver l’économie de notre système de santé et, partant, l’accès universel aux médicaments utiles.
De leur côté, les industriels du médicament sont un rouage essentiel de la mise au point et à disposition des médicaments. Conformément à leur statut d’entreprise privée dans le marché compétitif, les firmes pharmaceutiques visent la meilleure rémunération de leurs investissements et de leur savoir-faire, ce qui est légitime. Les firmes y parviennent d’ailleurs très bien, au point que la profitabilité de leur activité compte parmi les plus élevées du monde avec un ratio résultat net/chiffre d’affaires autour de 20% en moyenne19. Un laboratoire comme Gilead a ainsi pu réaliser grâce à la commercialisation de deux AAD contre l’hépatite C20 un résultat net à hauteur de 52,3 % de son chiffre d’affaires en 2014.
Si l’excellente profitabilité du secteur de la pharmacie n’est pas en soi illégitime, les raisonnements conduisant à la formation du prix de vente des médicaments peuvent être plus ou moins acceptables.
2.Le « partage de la valeur » comme justification du prix de vente : un raisonnement qui ne paraît pas acceptable
La justification habituelle du prix de vente repose sur un prix de revient (intégrant l’investissement de recherche et développement – y compris une part de la R&D globale finançant les recherches qui n’aboutissement pas –, une part de frais généraux et de frais commerciaux), sur des volumes de vente attendus et sur un taux de marge constituant le profit proprement dit21. Mais les industriels tentent aujourd’hui de faire admettre un raisonnement économique qui n’est plus basé sur le prix de revient du médicament assorti d’une marge, mais sur le bénéfice pour la personne soignée et pour la collectivité en termes économiques. L’idée de base est qu’une personne guérie ou dont l’état de santé est amélioré par le traitement « rapporte » à la collectivité ou engendre moins de coûts que la même personne laissée sans traitement efficace. Le médicament qui guérit vaudrait une part du bénéfice économique de la guérison22.
Le principe de ce raisonnement est le « partage de la valeur ». Il est appliqué de manière plus ou moins courante entre des entreprises industrielles ou commerciales dans leurs négociations. En matière de négociation du prix des médicaments avec l’État ce raisonnement ne paraît pas acceptable. Outre que la valeur générée est le résultat de facteurs complexes – pas seulement du médicament – et difficiles à évaluer, l’État n’est pas une entreprise raisonnant en termes de maximisation de la valeur ou de ses marges, mais le garant de l’intérêt public (et en l’espèce de la santé publique) ; c’est d’ailleurs ce qui justifie la possibilité ménagée par la loi française que le gouvernement fixe unilatéralement le prix d’un médicament si aucun accord raisonnable ne permet de le faire par convention avec le laboratoire exploitant – avec cette limite que ce dernier peut alors parfaitement s’abstenir ou cesser de fournir à ce prix.
La situation dépasse cependant en l’espèce l’organisation d’un simple équilibre entre contractants. L’État, dans le modèle politique et social auquel nous sommes attachés, n’est pas dans le rôle d’un simple contractant : l’accès au médicament est une composante du droit à la protection de la santé, un droit fondamental – c’est-à-dire attaché à la personne humaine indépendamment de toute contingence de situation, et dont l’État est le débiteur. Ce droit est garanti par de nombreux textes, pactes et traités à l’échelle internationale et, en France, par le préambule de la Constitution de 1946 qui appartient au « bloc de constitutionnalité »23. Au rang des textes internationaux spécifiques, la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique, dans son préambule que « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain »24. L’accès aux médicaments, parce qu’il est une condition de la santé, s’intègre dans les droits de l’homme. C’est à l’État que revient la mission de garantir ces droit fondamentaux – et il ne peut s’y dérober25.
En bref, l’État protège par le contrôle du prix de remboursement le droit fondamental d’accéder aux médicaments qui ne sont pas des marchandises comme les autres dont on pourrait plus ou moins se passer : l’accès aux médicaments est un droit de l’homme que l’État a la mission et le devoir de garantir. Il ne peut accepter de prendre en compte dans l’établissement de leur prix le bénéfice économique allégué du respect d’un tel droit fondamental.
La façon dont cette garantie est organisée en France est extraordinairement protectrice si on compare, notamment, avec la situation aux États-Unis où, en raison des défauts de la protection sociale, des malades peuvent effectivement ne pas accéder aux soins, et où la santé reste l’un des premiers motifs de faillite personnelle, comme le relève le CESE26.
Le Comité éthique et cancer estime que, dans le processus de mise à disposition des médicaments innovants remboursables en cancérologie, la conciliation des intérêts antagonistes de la collectivité, d’une part, et des firmes pharmaceutiques, d’autre part, doit intégrer l’exigence d’équité dans l’accès aux médicaments. Et que les règles juridiques, les mécanismes administratifs et les comportements économiques doivent être appréciés – et, le cas échéant, améliorés – pour servir cette exigence.
III. Améliorations
Le Comité éthique et cancer relève que les pouvoirs publics font preuve de réactivité pour faire face aux problèmes nouveaux que posent l’évaluation des médicaments innovants onéreux et la fixation de leur prix de remboursement. Il reste que des améliorations paraissent encore possibles en matière de transparence des procédures, exigence à la fois éthique et d’efficacité économique pour la collectivité.
La procédure de fixation du prix de remboursement est une organisation complexe ; il convient d’en tracer le fonctionnement avant d’exposer les améliorations souhaitables du point de vue du Comité.
1.Fixation du prix de remboursement des médicaments : organisation
Le prix des médicaments ayant reçu – sur la base d’une évaluation médico-scientifique exigeante – une autorisation de mise sur le marché (AMM) est libre lorsque le laboratoire exploitant ne demande pas son inscription sur la liste des médicaments remboursables par la sécurité sociale. L’AMM est délivrée par chaque autorité nationale compétente – en France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – ou par l’Agence européenne du médicament (EMA) en cas de procédure centralisée pour l’ensemble de l’Union européenne.
Pour que le médicament soit remboursable en France — ce qui lui assure une prescription beaucoup plus large et, de ce fait, des volumes de vente plus importants — le laboratoire exploitant dépose une demande auprès de la Haute Autorité de santé (HAS). La Commission de la transparence (CT) de l’HAS instruit la demande en premier lieu et se prononce sur le « service médical rendu » (SMR) et sur « l’augmentation du service médical rendu » (ASMR). Le SMR est qualifié d’important, modéré, faible ou insuffisant ; il évalue l’intérêt médical du médicament pour ses indications thérapeutiques. L’ASMR est qualifiée de majeure, importante, modérée, faible ou insuffisante (niveaux I à V) ; elle évalue la valeur ajoutée du médicament par rapport à ce qui existe déjà.
L’avis de la CT est transmis au Comité économique des produits de santé (CEPS) — un organisme interministériel placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie — et à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM).
Le CEPS est chargé de fixer le prix du médicament en fonction de l’ASMR et de différents indicateurs tels que le prix des médicaments à même visée thérapeutique, les volumes de vente envisagés, la population cible et les prix pratiqués à l’étranger.
Lorsque l’ASMR est jugée positive (niveaux I, II ou III sur V), une étude médico-économique (et, depuis 2016, d’impact budgétaire) est demandée à une commission de la HAS, la Commission évaluation économique et de santé publique – CEESP (à ne pas confondre avec le CEPS) – qui rend un « avis d’efficience ».
Le CEPS conduit sur ces bases une négociation du prix avec le laboratoire exploitant pour déboucher sur une convention de prix. Lorsque que la négociation est bloquée, le CEPS a la possibilité – arme ultime – de fixer unilatéralement le prix du médicament tel qu’il pourra figurer sur la liste des médicaments remboursables. En contrepartie, le laboratoire peut toujours refuser de fournir le médicament au prix fixé unilatéralement27.
L’UNCAM, de son côté, se prononce sur le taux de remboursement, notamment au regard du SMR.
La décision finale d’inscription sur la liste des médicaments remboursables est de la compétence des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ; elle est publiée au Journal officiel.
Le prix des médicaments peut être baissé – et il l’est régulièrement s’agissant des médicaments les plus onéreux –, soit conventionnellement, soit unilatéralement par le CEPS, lorsque les conditions changent, notamment en cas de baisse des prix réels constatés dans d’autres pays ou en cas de dépassement des prévisions de coût par l’assurance maladie.
Ces décisions – de prix de remboursement, de non-inscription ou de radiation sur la liste des médicaments remboursables – peuvent être contestées (et le sont effectivement dans certains cas) devant le Conseil d’État.
L’observation a été faite par différents experts que la valorisation de l’augmentation du service médical rendu, qui doit stimuler l’innovation réelle se traduisant en plus-value thérapeutique, stimule aussi les laboratoires, lorsque que l’ASMR est significativement élevée, dans la fixation de leur proposition de prix de remboursement. De sorte que les médicaments innovants les plus efficaces étant par construction mieux valorisés que les médicaments existant, le financement du progrès thérapeutique est, en matière de médicaments, pris dans une spirale inflationniste que les mesures de révision de prix dans le temps ne permettent pas toujours de corriger28.
La valorisation de l’innovation est légitime ; elle incite à faire mieux ; les malades en bénéficient. Elle a un coût mécaniquement plus élevé que l’existant, qui concourt, dans une certaine mesure, à l’augmentation légitime du coût des traitements.
D’autres composantes sensibles du prix de remboursement, en revanche, que le CEPS est tenu légalement de prendre en compte, dépendent de l’information disponible sur les marchés du médicament et des comportements économiques des laboratoires. Un critère est le prix réel pratiqué pour les ventes en gros et sur les marchés étrangers comparables (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie)29. Ces informations ne sont pas toujours accessibles de manière simple et fiable, ce qui peut nuire à l’équilibre de la négociation en défaveur du CEPS30. Des stratégies d’optimisation économique peuvent conduire les laboratoires à exploiter d’abord sur les marchés les plus avantageux pour eux (Allemagne, Royaume-Uni) pour disposer d’un prix de référence plus élevé. Dans le même ordre d’idée, l’indemnité fixée par le laboratoire pour la dispensation du médicament sous le régime de l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) tend à imposer un prix de référence élevé avant toute négociation31.
Le Comité éthique et cancer n’a pas vocation à entrer dans le détail des ajustements réglementaires les plus techniques de l’organisation de la fixation du prix de remboursement des anticancéreux innovants, comme a pu le faire dans son rapport récent32 le Conseil économique et social et environnemental. Il estime seulement que les pouvoirs publics sont légitimes à veiller avec la plus grande attention au contrôle des paramètres du prix de remboursement, et des comportements économiques qui peuvent les affecter.
Il observe que l’organisation de la fixation et de la révision du prix des médicaments est l’objet de réformes et d’adaptations fréquentes qui s’efforcent précisément de répondre aux déséquilibres d’informations ou aux démarches éventuelles d’optimisation ou d’omission, auxquels les organismes concernés peuvent avoir à faire face.
Le Comité éthique et cancer ne peut manquer de relever que l’évaluation des médicaments – médico-scientifique, puis médico-économique – est la pierre angulaire du dispositif et que les spécificités du mécanisme des thérapies ciblées et des immunothérapies appellent à une réflexion sur l’organisation des essais et les critères de jugement utilisés. Il en va de même de la notion de « service médical rendu ». Ce point, qui dépasse le cadre de la saisine à laquelle répond le présent avis, pourra faire prochainement l’objet de travaux du Comité.
En revanche, Le Comité estime que différentes mesures touchant à l’amélioration de la transparence de la fixation du prix de remboursement des médicaments innovants – et, sans doute, de tous les médicaments –, incluant la représentation des usagers du système de santé au sein du CESP, s’imposent avec une grande évidence et devraient être mises en œuvre rapidement.
2.Améliorer la transparence
Le Comité éthique et santé estime légitime que le public puisse avoir accès aux informations – y compris les informations économiques – sur lesquelles les décisions de fixation du prix de remboursement sont prises.
Ainsi :
- Les termes de la négociation sur le prix d’un médicament, une fois l’avis du CESP rendu définitivement, devraient être rendus publics ;
- La réalité des prix pratiqués par les firmes pharmaceutiques devrait également être rendue publique pour chacun des médicaments mis sur le marché, avec les prix réels (pas seulement faciaux) pratiqués et les dispositifs de remises et d’avoir.
3.Une représentation des usagers au CEPS
Le Comité note que la Haute autorité de santé a intégré des représentants associatifs dans ces différentes instances, en particulier la Commission de transparence et la Commission évaluation économique des produits de santé publique. Depuis mars 2017, de tels représentants siègent même au sein de son Collège, c’est-à-dire de son instance responsable des orientations stratégiques, de la programmation et de la mise en œuvre des missions assignées à la HAS. C’est le cas également de l’ANSM dont les commissions consultatives comportent des représentants associatifs.
Le Comité éthique et cancer estime que la participation de représentants des usagers du système de santé au sein du CEPS s’impose aujourd’hui comme une nécessité.
Dans une lettre d’orientation datée du 17 août 2016, les ministres des finances, du budget et de la Santé ont demandé au président du CEPS de négocier « un accord-cadre avec les usagers du système de santé » et de faire en sorte que « leur implication permette un échange constructif ». Cet accord-cadre a été prévu par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016. Le Comité éthique et cancer, estime que la traduction concrète de cette prévision devrait être la nomination au sein du CEPS de représentants des usagers du système de santé.
Sigles et abréviations
AAD : antiviraux à action directe
ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
AMM : autorisation de mise sur le marché
ASMR : amélioration du service médical rendu
ATU : autorisation temporaire d’utilisation
CEESP : Commission évaluation économique et de santé publique
CEPS : Comité économique des produits de santé
CESE : Conseil économique, social et environnemental
CT : Commission de la transparence
EMA : European medicines agency (agence européenne des médicaments)
HAS : Haute autorité de santé
SMR : service médical rendu
UNCAM : Union nationale des caisses d’assurance maladie
Synthèse de l’avis
Le prix des médicaments « innovants » mis sur le marché au cours des dix dernières années a connu en France une augmentation considérable.
Le cas du Sovaldi® (traitement de l’hépatite C chronique) ou celui des tests génomiques dans le cancer du sein (pour apprécier l’intérêt ou non d’une chimiothérapie) illustrent la réalité des tensions entre des acteurs inscrits dans des logiques d’intérêt fortement antagonistes : responsables des comptes et de la santé publique, d’un côté ; industriels du médicament de l’autre, appuyés parfois par des associations de malades, comme a pu s’en alarmer l’Académie de médecine.
Les nouveaux médicaments destinés aux traitements des cancers, en particulier les thérapies ciblées et les immunothérapies, n’échappent pas à cette situation.
La conciliation de ces intérêts antagonistes doit intégrer, estime le Comité éthique et cancer, l’exigence d’équité dans l’accès aux médicaments. Le Comité rappelle, en effet, que l’accès aux médicaments est un droit de l’homme que l’État a la mission et le devoir de garantir.
Concilier des intérêts antagonistes
Une position assez largement partagée dans les mondes médical et institutionnel avance le risque, comme l’indique la saisine, « qu’en France les patients se voient bientôt refuser un traitement parce que son coût est devenu trop élevé pour l’assurance maladie […], que seuls quelques patients, pouvant financer eux-mêmes leur traitement, puissent accéder à certains médicaments ».
Des risques avérés mais probablement maitrisables
Des épisodes comme la période où, pour des raisons de coût, le Sovaldi® n’a été remboursable qu’aux malades les plus graves alors que tous auraient dû pouvoir en bénéficier, avèrent le risque de tels mécanismes.
Pour autant, il ne paraît pas aujourd’hui raisonnablement possible d’affirmer que, à un horizon datable, des malades du cancer en France ne pourront plus accéder aux molécules innovantes. De fait, les dépenses de médicaments en France ont été stables ces dernières années, malgré une augmentation des volumes. Cette stabilité relative est notamment liée, malgré la hausse des anticancéreux innovants, à une diminution globale des prix engagée notamment depuis 2012.
Le « partage de la valeur » comme justification du prix de vente : un raisonnement qui ne paraît pas acceptable
a) La collectivité a le devoir de protéger l’intérêt public en recherchant la mise à disposition des médicaments les plus efficaces au coût le plus bas pour préserver l’économie de notre système de santé et, partant, l’accès universel aux médicaments utiles.
De leur côté, les industriels du médicament sont un rouage essentiel de la mise au point et de la mise à disposition des médicaments. Conformément à leur statut d’entreprise privée dans le marché compétitif, les firmes pharmaceutiques visent la meilleure rémunération de leurs investissements et de leur savoir-faire, ce qui est légitime. Les firmes y parviennent d’ailleurs très bien, au point que la profitabilité de leur activité compte parmi les plus élevées du monde.
b) Si la profitabilité du secteur de la pharmacie n’est pas en soi illégitime, les raisonnements conduisant à la formation du prix de vente des médicaments peuvent être plus ou moins acceptables.
Les industriels tentent aujourd’hui de faire admettre un raisonnement économique qui n’est plus basé sur le prix de revient du médicament assorti d’une marge, mais sur le bénéfice pour la personne soignée et pour la collectivité en termes économiques. L’idée de base est qu’une personne guérie ou dont l’état de santé est amélioré par le traitement « rapporte » à la collectivité ou engendre moins de coûts que la même personne laissée sans traitement efficace. Le médicament qui guérit vaudrait une part du bénéfice économique de guérison.
Le principe de ce raisonnement est le « partage de la valeur ». Il est appliqué de manière plus ou moins courante entre des entreprises industrielles ou commerciales dans leurs négociations.
c) Cependant, l’État n’est pas une entreprise et ne saurait raisonner en termes de « maximisation de la valeur » ou de ses « marges ». Il est le garant de l’intérêt public et, ici, de la santé publique. (C’est d’ailleurs ce qui justifie la possibilité ménagée par la loi française que le gouvernement fixe unilatéralement le prix d’un médicament si aucun accord raisonnable n’intervient – avec cette limite que le laboratoire peut légalement sinon moralement s’abstenir ou cesser de fournir à ce prix.)
La situation, en l’espèce, dépasse l’organisation d’un simple équilibre entre contractants. L’État, dans le modèle politique et social auquel nous sommes attachés, n’est pas dans le rôle d’un simple contractant, mais dans celui de garant de l’accès au médicament, composante du droit à la protection de la santé, droit fondamental dont l’État est le débiteur.
Le Comité éthique et cancer estime que, dans le processus de mise à disposition des médicaments innovants remboursables en cancérologie, la conciliation des intérêts antagonistes de la collectivité, d’une part, et des firmes pharmaceutiques, d’autre part, doit intégrer l’exigence d’équité dans l’accès aux médicaments. Et que les règles juridiques, les mécanismes administratifs et les comportements économiques doivent être appréciés – et, le cas échéant, améliorés – pour servir cette exigence.
Améliorations
Le Comité éthique et cancer relève que les pouvoirs publics font preuve de réactivité pour faire face aux problèmes nouveaux que posent l’évaluation des médicaments innovants onéreux et la fixation de leur prix de remboursement.
Fixation du prix de remboursement des médicaments : organisation
Le Comité observe que l’organisation de la fixation et de la révision du prix des médicaments est l’objet de réformes et d’adaptations fréquentes qui s’efforcent de répondre aux déséquilibres informationnels ou aux démarches éventuelles d’optimisation ou d’omission, auxquels les organismes concernés peuvent avoir à faire face.
Il reste que des améliorations paraissent encore possible, qui répondent à des exigences à la fois éthique et d’efficacité économique pour la collectivité.
Ainsi, le Comité éthique et cancer ne peut manquer de relever que l’évaluation des médicaments – médico-scientifique, puis médico-économique – est la pierre angulaire du dispositif et que les spécificités du mécanisme des thérapies ciblés et des immunothérapies appellent à une réflexion sur l’organisation des essais et les critères de jugement utilisés. Il en va de même de la notion de « service médical rendu ». Ces points, qui dépassent le cadre de la saisine à laquelle répond le présent avis, pourront faire prochainement l’objet de travaux du Comité.
Améliorer la transparence
Pour l’immédiat, le Comité estime que différentes mesures touchant à l’amélioration de la transparence de la fixation du prix de remboursement des médicaments devraient être mises en œuvre.
Ainsi, le Comité éthique et santé estime : qu’il est légitime que le public puisse avoir accès aux informations – y compris les informations économiques – sur lesquelles les décisions de fixation du prix de remboursement sont prises ;
Une représentation des usagers au CEPS
En outre, le Comité note que la Haute autorité de santé (HAS) a intégré des représentants associatifs dans la Commission de transparence et la Commission évaluation économique des produits de santé publique (CEEPS). Depuis mars 2017, de tels représentants siègent même au sein de son Collège, c’est-à-dire de son instance responsable des orientations stratégiques, de la programmation et de la mise en œuvre des missions assignées à la HAS. C’est le cas également de l’ANSM dont les commissions consultatives comportent des membres associatifs.
Le Comité éthique et cancer estime que la participation de représentants des usagers du système de santé au sein du le Comité économique des produits de santé (CEPS) s’impose aujourd’hui comme une nécessité.